Colette Boillon
La Croix - L’événement, le mercredi 22 avril 1992

Crimes et pardon

Si on se confesse moins que par le passé, on parle beaucoup de pardon et les gestes officiels font la une des médias. On n’a pas oublié l’image du Pape rencontrant en prison l’homme qui tira sur lui place Saint-Pierre, de Willy Bandt à genou devant le monument-souvenir du ghetto de Varsovie, du président tchèque Vaclav Havel qui, pour sa première déclaration de politique étrangère, demandant pardon à la majorité allemande des Sudètes, poussée hors de Tchécoslovaquie. Et plus près de nous, celle du roi d’Espagne à la synagogue de Madrid faisant amende honorable pour l’expulsion des juifs espagnols en 1492.

Des témoignages différents

" Père pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font "... En programmant cette Marche du siècle sur " Crimes et pardon : la douleur des victimes ", Jean-Marie Cavada est encore dans l’actualité de la Semaine sainte célébrant la Passion du Christ, la référence chrétienne étant au cœur du reportage illustrant la soirée. Autre actualité que l’émission ne pouvait éluder, le non-lieu dans l’affaire Touvier. C’est pourquoi André Frossard (sous réserves), un témoin ayant directement souffert des agissements de Paul Touvier, ainsi qu’André Chouraqui évoquant le pardon dans les différentes religions s’ajoutent aux invités initialement prévus.

Certains ne peuvent arriver au geste de réconciliation : " Comment voulez-vous qu’un père puisse pardonner à l’assassin de son enfant ? " disent M. et Mme Henri Dabau dont le fils unique a été violenté puis assassiné à l’âge de 3 ans.

Quant à Nathalie Schweighoffer, une jeune femme de 21 ans, elle avait 12 ans quand son père l’a violé pour la première fois. À 18 ans, elle portait plainte contre lui. " J’ai accepté de venir à cette émission sur le pardon, parce que je trouve que c’est un thème pas toujours très bien abordé, dit-elle. Mais je ne suis pas quelqu’un qui pardonne facilement, et je n’ai pas envie de pardonner, parce que si j’abandonne ma haine et cette rancœur, je perds un peu mon combat contre l’inceste " (combat qu’elle avait raconté dans J’avais douze ans, Éd. Fixot). Aujourd’hui elle est maman d’un petit garçon, qu’elle tient pour " un cadeau du ciel ".

Autres invités, Tracy Chamoun, fille du leader chrétien maronite assassiné le 21 octobre 1990, qui a retrouvé le chemin du pardon grâce à la foi ; Jean-Louis Normandin, d’A 2, ancien otage au Liban, faisant pour la " Marche du siècle " une exception à son désir de silence ; Brigitte Beral, qui a perdu sa mère et a été grièvement blessée lors de l’attentat de la rue de Rennes et qui témoignait le 8 avril dernier dans le procès de Faoud Ali Salah ; Wojciech Jaruzelski, Polonais hier ennemi - le leader de Solidarnosc ayant été plusieurs fois jeté en prison par le général - et qui dialoguent aujourd’hui dans le texte final des mémoires de ce dernier qui viennent de sortir aux Éd. Lattès.

Embrasser l’assassin de leur fille

Délicat était le choix du film d’accompagnement. Briser la dette et l’oubli est un document très fort, venu du Québec, réalisé par Denis Boivin, professeur en religion. Ce reportage (production Dionysos, distribution Productions 7) a remporté le prix de la presse au festival international de Tours en janvier dernier.

En 1979, deux adolescents montréalais furent assassinés et jetés dans le Saint-Laurent, (la jeune fille ayant été violée). On retrouve leurs corps dix jours après et très vite on arrête les assassins, deux jeunes gens de 25 ans. Les familles réagissent différemment : le père de Maurice Marcil, qui se déclare areligieux, dit choisir de vivre et d’oublier (ce qu’il essaie de faire dans la paix de son jardin) plutôt que de pardonner.

Mais les parents et la sœur de Chantal Dupont, ont immédiatement puisé dans lur profonde foi chrétienne - ce n’est pas un vain mot lorsqu’on voit combien leur vie est nourrie de la lecture quotidienne de la Bible - la force du pardon. Ils l’écrivent à Normand Guérin en prison pour qui " c’est insensé : dans la lettre y’avait rien qu’de l’amour ", ils le disent à sa famille, ils les font cheminer avec eux sur ce chemin d’amour qui débouche sur un face-à-face dix ans après le drame. À voir ce couple entrer dans le pénitencier serein, se tenant par la main, et accueillir comme un enfant qu’on embrasse l’assassin de leur fille, les mots manquent. Il n’a plus qu’une grande émotion devant le bouleversement du pardon.

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