Robert Chartrand
Le Devoir, les samedi 20 et dimanche 21 juin 1998

Au rayon des lectures sabbatiques .  Ces livres insoucieux des frontières des genres ou des catégories d'âge de leurs lecteurs éventuels

LES MONTCORBIER

Arnaud de Montcorbier (1914) ;  Premières armes (1918);  La Musique de la lune (1919)

Suzanne Martel

Boréal, Montréal, 1997 et 1998, 220,  300 et 296 pages

L’œuvre de Suzanne Martel (sans parler de son tempérament) est aux antipodes de celle de Girardin. Dans la vie, cette femme est une battante, et cela se voit dans son œuvre. Mère de six enfants, voyageuse intrépide, elle a publié jusqu'ici une vingtaine de livres jeunesse, dont plusieurs romans historiques. L’un de ceux-ci, Une belle journée pour mourir avait d'ailleurs remporté le prix du Gouverneur général en 1994. Depuis quelques années, madame Martel s’est lancée dans un immense projet, une saga familiale, Les Montcorbier, qui devrait compter au total une quinzaine de volumes. Les deux premiers, qui avaient d'abord paru chez Fides, ont été réédités chez Boréal l’an dernier, et le troisième - dont le sous-titre est La Musique de la lune - vient de paraître chez ce même éditeur.

Il y a longtemps que ces Montcorbier occupent l’imaginaire de Suzanne Martel : certains des personnages auraient été inventés au cours de son enfance, alors qu'elle et sa sœur prenaient plaisir à rivaliser d’imagination. Les Montcorbier se ressentent de cette genèse enfantine : c'est une authentique épopée, celle d’une famille hors du commun, sept frères et sœurs dotés d'un héroïsme atavique - et particulièrement Arnaud, - le benjamin, né avec le siècle, qui est la vedette des trois premiers tomes. À 14 ans, il chassait le tigre ; à 18, il est espion, puis soldat. Son " sang-froid dans le danger, qu'aucun entraînement ne peut donner s’il n'existe déjà, c'est la force des Montcorbier, aventuriers de naissance ". Arnaud a d'ailleurs " l’énergie, le sens de l'organisation, la prévoyance et l'autorité naturelle qui sont des traits de sa famille puis des générations, et font des Montcorbier des chefs dans tous la domaines où ils évoluent. " Et ses défauts - on soupçonne que la romancière elle-même n’en rougirait pas - ont le panache de ses qualités - " intransigeance, impatience devant la bêtise, intolérance devant la mollesse et obstination entêtée contre toutes les barrières. "

On aurait tort de voir dans cette œuvre un roman truffé d’invraisemblances. Les Montcorbier sont une épopée, où le merveilleux se manifeste à bon droit. Les personnages sont, comme il se doit, plus grand que nature, et ils vivent des péripéties à leur mesure. L’imaginaire s'affiche triomphant ; les pays mêmes où se déroule l’action sont inventés, quoique la Sarénie ressemble beaucoup à France et le Gotal à l'Inde. Dans trois premiers tomes de cette saga Arnaud, courageux jusqu'à la témérité, pugnace et parfois belliqueux, affronte mille dangers - ce sont de défis qui permettent de montrer ses mérites - et frôle la mort plus d’une fois. Il s’apprête finalement à se mettre en ménage, mais on sent qu’il ne se rangera pas pour autant.

La fresque héroïque qu'a entreprise Suzanne Martel entend s'adresser à tous les publics, même si on imagine qu'elle intéressera surtout jeunes. Née de l'imagination fertile de deux jeunes filles, elle sera sans doute menée à terme par l’une d'elles, qui refuse énergiquement de vieillir. Les adultes, certains jours où ils sont dans les mêmes dispositions, la liront avec plaisir.

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